Après l’automatisation, la formation : l’histoire d’un fabricant qui a réussi à recycler sa main-d’œuvre
En juin 2001, Raufoss Technology Canada dote son usine de Montréal, spécialisée en développement et production de pièces d’aluminium de qualité supérieure, d’un équipement semi-automatisé. Au fil des ans, des investissements dans de nouveaux équipements et procédés technologiques transforment l’usine et créent un besoin en opérateurs qualifiés. Pour former ses employés, Raufoss sort des sentiers battus : elle met sur pied un certificat en automatisation en collaboration avec le Collège Lionel-Groulx à Sainte-Thérèse. Lee Thibodeau, directrice des opérations et des ressources humaines chez Raufoss Technology Canada, nous explique comment le programme a aidé l’entreprise à surmonter le défi de la formation.
Parlez-nous des infrastructures technologiques de votre usine.
Dans notre usine de fabrication de Montréal, nous utilisons une robotique de pointe, notamment pour les travaux de fonderie, des appareils contrôlés par automate programmable industriel (API) ainsi que des appareils intelligents comme des presses-formeuses, des fours à traitement thermique, des localisateurs de pièces, des centres d’usinage commandés par ordinateur à haute vitesse et des chaînes d’assemblage semi-automatisées.
Tout est géré à l’interne. La courbe d’apprentissage a été abrupte pour toute l’équipe, y compris le personnel responsable de l’installation, mais le fait de s’occuper de l’installation et de la gestion de l’équipement à l’interne a permis à nos techniciens d’apprendre comment fonctionne l’équipement dans notre contexte de production. Pour nous aider, nous avons des ingénieurs pour mener les projets et deux techniciens en robotique très doués pour programmer l’équipement.
Absolument! Un robot fait ce pour quoi il a été programmé, rien de plus. Il ne peut pas résoudre de problèmes, prendre des décisions ou user de son imagination. Il ne peut pas proposer des moyens d’être plus productif ou efficace. Malgré leur constance et leur fiabilité, l’automatisation et la robotique doivent être appréhendées et développées dans une optique d’amélioration continue. Chez Raufoss, optimiser nos ressources et rester à l’avant-garde de notre secteur est une priorité. Pour y arriver, nous devons puiser dans l’intelligence humaine.
Comment aviez-vous prévu pourvoir les nouveaux postes lorsque l’installation du nouvel équipement a initialement été proposée?
Nos usines de Norvège et de Chine possèdent de l’équipement similaire. Le profil de leurs opérateurs est également le même : ils ont des compétences en vision 3D, mathématiques (pour la programmation des robots) et résolution de problèmes, et ils gèrent bien le stress. Ils doivent aussi avoir une formation technique postsecondaire en programmation de commande numérique par ordinateur (CNC), en électromécanique ou dans un autre métier spécialisé.
Nos usines de Chine et du Mexique réussissent à trouver des techniciens qualifiés avec de l’expérience en production à haut volume en raison de la forte présence de l’industrie automobile dans ces pays. Donc, initialement, nous pensions pouvoir trouver des techniciens compétents parmi les techniciens industriels sur le marché du travail local.
Quelles difficultés avez-vous rencontrées?
La plupart des techniciens sur le marché proviennent du secteur des services et ne sont pas habitués à un environnement de production à haut volume. Nous n’arrivions pas à trouver des opérateurs de procédés automatisés compétents et qualifiés capables d’utiliser l’équipement, de faire du dépannage et d’améliorer nos processus.
Comment avez-vous surmonté cette difficulté?
Nous avons revu nos stratégies de recrutement en ciblant les opérateurs ayant une connaissance de base en automatisation dans des industries à haut volume et strictement réglementées. Puis, avec l’aide d’un cégep de la région, nous avons mis sur pied un programme afin de développer les compétences manquantes chez nos opérateurs internes, ceux qui avaient le potentiel d’apprendre et le désir de se spécialiser en automatisation et en robotique.
Quelles sont les subtilités de ce programme élaboré en collaboration avec le Collège Lionel-Groulx de Sainte-Thérèse?
Les employés intéressés devaient remplir une demande d’admission comme tout le monde. Une fois admis, ils suivaient une formation théorique et pratique, tantôt à l’usine, tantôt au cégep. Lors de travaux pratiques dans notre usine, nous coordonnions la production pour que les employés en formation puissent utiliser les appareils. Les employés sont de vrais étudiants : ils font leurs devoirs et passent des examens tout au long du programme, lequel peut être suivi à temps partiel, à raison de quatre à huit heures par semaine pendant quatre mois.
Au terme du programme, l’employé reçoit 200 heures d’encadrement sur le terrain auprès d’un opérateur qualifié. Si l’employé réussit l’évaluation finale du cégep, Raufoss lui rembourse les frais d’admission.
« Malgré leur constance et leur fiabilité, l’automatisation et la robotique doivent être appréhendées et développées dans une optique d’amélioration continue. »
Quelle a été la réaction au programme?
Dès le début de notre projet pilote en 2005, nous avons senti un grand intérêt. Le programme offre à nos employés la possibilité de se perfectionner dans un format accessible. Et parce que les cours se suivent à temps partiel et principalement en milieu de travail, le programme permet un bon équilibre vie-travail.
Nos employés peuvent mettre immédiatement leurs nouvelles compétences à profit, en héritant de nouvelles responsabilités et d’augmentations de salaire. Le programme a même encouragé certains employés à poursuivre leur formation ailleurs en vue d’occuper un autre poste dans l’entreprise.
A-t-il amélioré la rétention du personnel?
Oui. Parmi les plus de 25 employés que nous avons formés, 80 % sont restés chez nous. Certains d’entre eux sont même devenus des chefs d’équipe ou des électromécaniciens.
Il était primordial pour moi que le programme permette aux employés de développer des compétences transférables. Je pense qu’il a aussi eu pour effet d’augmenter le sentiment d’appartenance et de loyauté, et de renforcer l’engagement de l’entreprise à développer son capital humain – un facteur déterminant de notre compétitivité à l’échelle internationale.
Quel est l’avenir du programme?
Le programme a été reconnu par le ministère de l’Éducation en tant que certificat collégial. Cela a été très bénéfique pour nous et nous aide à démontrer la valeur du programme à nos employés. Le programme demeure une priorité, car le bassin de main-d’œuvre qualifiée rétrécit. C’est d’ailleurs pourquoi nous lançons une nouvelle session au printemps 2018. Nous tentons aussi d’intégrer les nouvelles technologies pour que le programme reste pertinent, tant pour nous que pour le personnel.
« Il était primordial pour moi que le programme permette aux employés de développer des compétences transférables. »
Croyez-vous que ce modèle peut fonctionner dans d’autres contextes? D’autres entreprises pourraient-elles profiter de ce genre de programme?
Nous croyons vraiment que ce type de partenariat profite à notre entreprise et à nos employés. Nous avons même élaboré, à plus petite échelle, un programme semblable en collaboration avec le Cégep de Sherbrooke, axé sur le développement de compétences en automatisation chez notre personnel d’entretien. Nous avons aussi demandé l’appui d’une école professionnelle de la région pour les cours de soudure.
Ces partenariats encouragent les établissements d’enseignement à penser à nous pour des stages et des visites d’usine pour les étudiants qui ont besoin d’orientation professionnelle, ce qui nous met en contact avec de nouveaux talents. Notre histoire est une réussite; je recommande fortement aux ressources humaines d’autres entreprises d’explorer ces possibilités avec les écoles de leur région.
Qu’est-ce qui fait le succès de la formation en milieu de travail?
Une méthode de formation bien structurée, un bon encadrement donné par des gens qui sont formés à cette fin, et une formation pratique. Chez nous, les employés en formation sont soumis à des simulations et à des tests pour vérifier qu’ils savent comment réagir en cas de problèmes.
Je pense que la motivation est un autre facteur très important dans le succès du programme. Rembourser les employés qui réussissent les encourage à persévérer. Je pense aussi qu’en reconnaissant le programme, le ministère de l’Éducation a reconnu sa légitimité et sa valeur, ce qui incite nos employés à y investir du temps et de l’énergie.
Lee Thibodeau
Directrice des opérations et des ressources humaines, Raufoss Technology Canada
Diplômée en gestion, Lee Thibodeau commence sa carrière dans le secteur automobile chez General Motors à Sainte-Thérèse. En 2002, elle joint les rangs de Raufoss Technology Canada où elle fait partie de l’équipe responsable de l’implantation d’une nouvelle usine de fabrication en Amérique du Nord. Elle y chapeaute la mise sur pied du service des ressources humaines, une équipe comptant aujourd’hui quatre membres. Depuis, elle a coordonné de nombreux projets d’amélioration continue pour aider l’entreprise à atteindre l’excellence opérationnelle. Fidèle à la culture de son entreprise qui valorise la formation continue, elle termine actuellement une maîtrise en développement organisationnel.
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