La journée de travail. A-t-elle une fin? Pendant la pandémie, de nombreux travailleurs en quête de flexibilité ont pu goûter aux joies du télétravail, du travail hybride et des horaires variables. Mais tout n’est pas rose. D’aucuns répondent au téléphone pendant leur marche de santé, d’autres plient leur brassée en pleine téléconférence... les frontières entre la vie professionnelle et la vie personnelle s’effacent. Conséquence : une hausse marquée du stress et de l’épuisement professionnel, et par la bande, du taux de roulement.
Pour aider les travailleurs à faire la coupure, le gouvernement de l’Ontario a adopté une nouvelle loi obligeant les employeurs à respecter le « droit à la déconnexion ». Quelles obligations entraîne-t-elle? Voici tout ce que les employeurs doivent savoir pour se préparer aux changements.
D’abord un peu de contexte
Ces nouvelles exigences font partie de la Loi de 2021 visant à œuvrer pour les travailleurs et complémentent les règles encadrant déjà les heures de travail, les pauses et la sécurité au travail. Avec cette loi, l’Ontario réitère son engagement à être un excellent endroit où vivre et travailler et donne l’exemple au reste du Canada (le gouvernement fédéral explore notamment la possibilité d’étendre le droit à la déconnexion à ses propres salariés).
Pourquoi maintenant?
Selon une déclaration du ministre du Travail, de la Formation et du Développement des compétences, « En adoptant cette loi, l’Ontario veille à ce que notre législation du travail suive le rythme accéléré de la nouvelle technologie, de l’automatisation et du travail à distance. »
Le télétravail et les horaires souples présentent des avantages indéniables. Après tout, aller chercher ses enfants, commencer le souper et faire du lavage pendant sa journée de travail, c’est génial. Mais dans un contexte où la technologie nous rend accessibles en tout temps, de plus en plus de travailleurs ont de la difficulté à passer du mode « boulot » en mode « vie privée ». Avec sa loi, c’est cette tendance que le gouvernement de l’Ontario cherche à renverser.
En quoi consiste la loi ontarienne sur le droit à la déconnexion?
Tous les employeurs qui emploient 25 salariés ou plus en Ontario sont maintenant tenus d’adopter une politique écrite sur la déconnexion du travail. L’expression « déconnexion du travail » est définie dans la Loi de 2000 sur les normes d’emploi comme le fait de ne pas effectuer des communications liées au travail, notamment les courriels, les appels téléphoniques, les appels vidéo ou l’envoi ou la lecture d’autres messages, de manière à être en inactivité. » Cette nouvelle exigence s’applique à tous les employés en Ontario, du cadre au journalier, qu’ils soient à temps plein, partiel ou autre. Les travailleurs temporaires fournis par une agence de recrutement ne sont pas inclus dans le seuil de 25 employés, car la loi les considère comme des employés de l’agence. Ainsi, ils sont couverts par la politique sur la déconnexion de cette dernière.
Bien que tous les travailleurs d’une entreprise doivent être couverts par une politique écrite de déconnexion du travail, rien n’oblige l’employeur à avoir la même politique pour tous ses employés. L’important est qu’ils aient tous accès à un document écrit énonçant clairement la position de l’employeur sur leur droit à la déconnexion du travail.
Que devrait contenir une politique de déconnexion du travail?
Les législateurs ont délibérément laissé la loi « floue » pour permettre aux employeurs de créer une politique qui tient compte des particularités de leur environnement de travail. Il va de soi que les employeurs devraient concevoir des politiques qui ont du sens pour leurs employés et qui respectent leurs droits en matière de santé, de sécurité et d’heures de travail.
Bien entendu, les heures de travail normales varient d’un secteur à l’autre (une personne qui travaille à la demande aura un horaire bien différent de celle qui travaille de 9 h à 17 h dans un bureau). Il revient donc à l’employeur de concevoir une politique qui permettra à ses employés de se déconnecter, réellement.
Selon les entreprises, une telle politique pourrait comprendre :
- des règles concernant les notifications et les messages vocaux (afin que les clients et les collègues sachent quand s’attendre à une réponse);
- des lignes directrices pour le travail hybride indiquant quand et pourquoi les employés doivent se présenter au travail en personne ou être disponibles en ligne;
- des attentes concernant les communications dans différentes situations (heure de la journée, sujet, expéditeur).
Les employeurs doivent aussi être conscients qu’ils pourraient être légalement tenus de respecter toutes les dispositions de leur politique écrite, et ce, même si ces dernières vont au-delà des exigences de la nouvelle loi.
Quand la nouvelle loi entre-t-elle en vigueur?
Pour déterminer s’il atteint le seuil minimal, un employeur doit compter le nombre de salariés qu’il emploie au 1er janvier.
Les employeurs qui emploient 25 personnes ou plus le 1er janvier 2022 ont jusqu’au 2 juin 2022 pour mettre en place leur politique. À partir de 2023, les employeurs qui ont 25 salariés ou plus au 1er janvier de n’importe quelle année doivent mettre en place une politique écrite avant le 1er mars de cette année-là.
Par exemple, un employeur qui a 20 employés au 1er janvier 2022 et qui en embauche 10 de plus en juillet ne serait pas tenu d’avoir une politique de droit à la déconnexion cette année-là. Toutefois, s’il a encore ses 30 employés le 1er janvier 2023, il doit se doter d’une politique avant le 1er mars 2023.
Est-ce une première?
Non, d’autres États ont déjà adopté des lois semblables. En 2017, la France a été le premier pays à obliger les employeurs à accorder le droit à la déconnexion. Depuis, la Belgique, la Grèce, l’Irlande, l’Italie, le Portugal, la Slovaquie et l’Espagne lui ont emboîté le pas, et d’autres devraient suivre. L’année dernière, le Parlement européen a proposé une législation à l’échelle de l’UE, mais elle se fait toujours attendre. En Allemagne, des géants comme Volkswagen, Daimler et Siemens ont pris les devants. Au Canada, si l’Ontario est la première province à exiger le droit à la déconnexion, elle ne sera probablement pas la dernière.
Y a-t-il eu des objections?
Les employeurs qui s’opposent à cette modification affirment qu’elle entraîne des formalités administratives inutiles, en particulier pour les petites entreprises et celles travaillant sur plusieurs fuseaux horaires. Ils affirment que le projet de loi est trop vague et qu’il nuira à la gestion, et donc à la productivité. Le projet de loi a également ses détracteurs du côté des employés, qui y voient une menace à la flexibilité si récemment obtenue.
D’autres affirment que les politiques de déconnexion du travail pourraient affecter les femmes, dont les carrières ont déjà souffert de manière disproportionnée pendant la pandémie, plus que les hommes, surtout si ces derniers sont prêts à renoncer à leurs droits pour faire progresser leur carrière plus rapidement.
Qu’est-ce qu’une bonne politique de déconnexion du travail?
Avant même la pandémie, des employeurs prenaient conscience du fait qu’ils devaient aider leurs employés à se déconnecter au risque de causer de l’absentéisme, du désenchantement, voire des départs. La nouvelle loi devrait aider à réduire la dépendance au travail et à rétablir une culture où la santé et la famille passent avant tout. À tout le moins, elle suscitera des discussions sur le travail que notre société valorise et sur la part de notre vie que nous devrions investir dans notre emploi.
Comme toujours chez Adecco, nous conseillons aux employeurs de prendre soin de leurs employés, de les traiter comme des personnes à part entière et de veiller à leur santé mentale. Vous rédigez votre première politique de droit à la déconnexion? Voici quelques conseils :
- Évitez les politiques générales qui limitent trop les heures de travail des employés. Certains travailleurs tiennent à la flexibilité.
- Déterminez les aspects de la déconnexion qui posent problème et élaborez des stratégies personnalisées pour lutter contre ces problèmes en particulier.
- Adoptez des solutions flexibles qui concilient le besoin de déconnexion avec les besoins individuels des employés.
- Mettez en œuvre des mesures de bien-être sensées, par exemple en encourageant les employés à utiliser tous les jours de congé auxquels ils ont droit.
- Utilisez la technologie à votre avantage, par exemple en programmant des réponses automatisées pour informer l’expéditeur d’un courriel que le destinataire se trouve dans un autre fuseau horaire ou qu’il n’est pas tenu de répondre en dehors de ses heures de travail.
À elle seule, une loi ne suffira pas à entraîner un changement de paradigme. Pour réaliser de réels progrès, tous doivent œuvrer à la création d’un environnement de travail plus sain en priorisant la santé et le bien-être, en respectant les limites de chacun et en se déconnectant quand c’est le temps.
Le droit à la déconnexion au quotidien
Chaque fois qu’une toute nouvelle loi est adoptée, il faut un certain temps pour comprendre comment elle se traduit dans le monde réel. Seul l’avenir nous dira comment le ministère du Travail agira avec les employeurs qui ne respectent pas leurs politiques.
Ainsi, bien que cette loi soit une première canadienne et qu’il reste à voir comment elle s’ancrera dans la réalité, les employeurs prévoyants sauront s’en servir comme outil pour attirer des candidats.
Selon Nicolette Mueller, vice-présidente et avocate générale associée chez Adecco,
« Les employeurs peuvent s’attendre à ce que le droit à la déconnexion, par le biais d’une politique bien écrite, axée sur le travailleur et promettant un équilibre équitable entre vie professionnelle et vie privée, devienne un puissant levier pour l’embauche et la rétention de talents, particulièrement dans le contexte de la pénurie de main-d’œuvre qui s’aggrave. »
Chez Adecco, nous savons qu’une législation en constante évolution complexifie la gestion d’équipes éclatées. Nous pouvons vous aider à assembler la main-d’œuvre dont vous avez besoin et à naviguer le dédale des lois encadrant un marché du travail en constante évolution. Nos experts sont à votre disposition – communiquez avec nous. Restez à l’affût des tendances dans le marché du travail canadien en vous abonnant à notre blogue Lēad.